L’Express / printemps 2008
Par Hubert Gascon
Depuis les années 1980, le mouvement pour l’intégration des personnes handicapées et le développement de services d’intervention précoce ont fait en sorte que toute une génération d’enfants TED a grandi dans leurs familles. Les objectifs de ces actions : Promouvoir la responsabilité parentale et favoriser la participation des parents. C’est dans cette optique qu’en 2003, le ministère de la Santé et des Services sociaux publie le Plan d’action en TED qui propose de rendre accessibles des services visant à répondre aux besoins particuliers des parents et de la fratrie (MSSS, 2003).
L’importance de l’engagement parental dans le développement d’un enfant est bien reconnue. Toutefois, cela se traduit par une surcharge de travail accrue pour les familles d’enfants ayant des incapacités. Dans un tel contexte et compte tenu de l’importance du rôle de ces dernières, il est essentiel de bien connaître l’entourage familial de ces enfants afin de lui offrir un soutien plus approprié1. Ces recommandations sont d’autant plus pertinentes lorsqu’il s’agit de familles d’enfants TED, notamment en raison des caractéristiques de leur fonctionnement dans la vie de tous les jours. Les difficultés associées aux enfants TED, que ce soit sur le plan de la communication, du sommeil, de l’alimentation, de l’acquisition de la propreté ou de la résistance au changement, sont bien documentées. Les enfants TED éprouvent souvent beaucoup de difficulté à exprimer clairement leurs besoins. En conséquence, leurs proches ont du mal à bien évaluer la situation et à y répondre adéquatement. Les différentes caractéristiques de l’enfant, tout comme le temps requis pour les soins, l’encadrement et la stimulation du développement, sont susceptibles de perturber la famille. Selon plusieurs écrits scientifiques s’intéressant aux enfants ayant des besoins spéciaux, ce type de traits dominants chez les enfants et les soins requis sont de bons prédicteurs du stress parental 2.
En général, les parents dont un enfant présente des incapacités ou une maladie chronique vivent un stress plus élevé que les parents dont les enfants n’ont pas d’incapacité. On observe également que les parents d’enfants TED vivent un stress plus élevé que les parents d’enfants sains ou d’enfants présentant le syndrome de Down3. Il y a tout lieu de croire que ce stress vécu par les parents se répercute sur l’ensemble de la famille, plus particulièrement chez les frères et les soeurs. Rodrigue, Geffken et Morgan (1993) observent en effet que les frères et les soeurs d’enfants TED sont plus à risque de développer des difficultés d’adaptation que les frères ou soeurs d’enfants présentant le syndrome de Down ou d’enfants normaux. La relation entre le stress parental et l’adaptation des frères et des soeurs d’enfants TED a toutefois été peu examinée. De plus, nous n’avons recensé aucune étude menée en contexte québécois sur la fratrie d’enfants TED.
La présente étude a pour objectif de connaître la situation des frères et des sœurs d’âge scolaire d’enfants autistes par rapport à leur adaptation socio-émotionnelle et ce, en relation avec le stress vécu par les parents. Elle a été menée auprès de 31 enfants (17 frères et 14 soeurs) âgés de 7 à 13 ans (âge moyen : 10,4; écart-type : 1,9). Ils proviennent de 25 familles qui ont été recrutées sur une base volontaire. Vingt enfants sont plus âgés que l’enfant TED, 11 plus jeunes. L’écart d’âge moyen entre eux et l’enfant TED est de 3,4 ans. Le nombre moyen d’enfants par famille est de 2,67.
Pour la mesure de l’adaptation socio-émotionelle, les sujets ont été évalués au moyen de la version française du Child Behavior Checklist 4-18 4. Utilisé pour cibler des indices de troubles émotionnels ou comportementaux, cet instrument est composé de 120 items répartis en huit dimensions : comportements de retrait, somatisation, anxiété et dépression, agressivité, comportements délinquants, problèmes de socialisation, troubles de la pensée et troubles de l’attention. Les normes de cet instrument5 permettent d’identifier les enfants perçus comme ayant des indices élevés ou très élevés de troubles émotionnels ou comportementaux et ce, par rapport à la population normale. Les enfants ont été évalués par leurs parents et par leurs enseignants.
Le stress parental a été évalué au moyen de l’Indice du stress parental6. L’instrument, composé de 101 items, permet de dresser un profil des agents stressants qui peuvent affecter l’harmonie du système parent enfant. Ils peuvent provenir soit de l’enfant soit du parent. Les sources de stress associées à l’enfant sont : sa résistance au changement, le niveau de son exigence envers son parent, son humeur, la présence d’hyperactivité et de problèmes d’attention, l’acceptation des caractéristiques de l’enfant par le parent, la capacité de l’enfant à renforcer son père ou sa mère. Celles associées au parent sont la dépression, le sentiment d’incompétence, son attachement envers l’enfant, la relation conjugale, l’isolement social, sa santé physique et la restriction engendrée par la fonction parentale. Selon les normes de l’instrument, un score total se situant au-dessus du 85e percentile correspond à un niveau élevé de stress parental et au-dessus du 90e, à un niveau très élevé. De tels scores constituent l’indice d’un état de malaise psychologique relié à l’éducation de son enfant qui peut nécessiter une intervention psychosociale. Dans l’étude, ce sont les mères (n=25) qui ont rempli le questionnaire.
Les résultats indiquent que la proportion des frères ou des soeurs d’enfants TED présentant des indices élevés de troubles émotionnels ou comportementaux est nettement supérieure à celles des autres enfants. 34 % des enfants ont un score total se situant au-dessus des seuils jugés critiques lorsqu’ils sont évalués par leur mère et 27 %, lorsqu’ils le sont par leur enseignant. Le nombre d’enfants dans la famille n’a pas d’effet. Toutefois, le fait d’être plus jeunes que l’enfant TED prédispose à de plus grandes difficultés. La proportion des mères d’enfants TED présentant des indices de stress élevé (4 % des mères) ou très élevé (68 % des mères) est considérable. Les résultats indiquent une relation significative (p = 0,002) entre le niveau du stress vécu par les mères et les indices de troubles du comportement chez les frères et soeurs d’enfants TED.
Les familles ne constituent pas un groupe homogène. Plusieurs caractéristiques peuvent exercer une influence sur la capacité des parents à assumer leur rôle : le niveau socio-économique, la scolarisation, la dimension et la structure de la famille, l’accès à un réseau informel de soutien provenant de personnes significatives, la proximité des services, les ressources personnelles et familiales permettant de répondre à un niveau plus important de soins et d’accompagnement exigés par leur enfant ayant une incapacité.
Les résultats de la présente recherche indiquent tout de même une proportion considérable de mères qui vivent un niveau de stress qui se situe au-dessus des seuils critiques établis. Ces données se comparent à celles obtenues par Kennedy, Chrétien et Moxness (2006). En ce qui concerne les frères et les soeurs, ils sont nettement plus nombreux à présenter des difficultés d’adaptation que ceux de la population sur laquelle les normes de l’inventaire d’Achenbach ont été établies ou en comparaison avec les résultats d’études épidémiologiques7.
Les résultats sommaires de cette étude descriptive viennent renforcer la pertinence de considérer dans l’intervention, non pas seulement l’enfant TED, mais aussi les membres de sa famille. Ignorer leurs besoins spécifiques peut compromettre leur engagement et interagir sur le développement optimal du potentiel de l’enfant TED et son intégration. Sur le plan de la recherche, l’étude de différents facteurs qui distinguent les mères et la fratrie bien portantes de celles qui éprouvent des difficultés est à poursuivre.
Bibliographie
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Richer, L, Lachance, L., Tremblay, K. N. (2007). La détresse des mères est-elle liée au QI et à la psychopathologie de l’enfant? Revue francophone de la déficience intellectuelle, 18, 15-22.
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1 Gavidia-Payne et Stoneman,1997; McWilliam et Scott, 2001; Guralnick, 2005
2 Baker et Blacher, 2002; Emerson, 2003; Moscato, Morin, Picard et Tassé, 2007; Richer, Lachance et Tremblay, 2007
3 Donovan, 1998; Morin, 2003
4 Achenbach, 1991
5 Achenbach, 2001
6 Bigras, LaFrenière et Abidin, 1996
7 Breton, Bergeron, Valla et al., 1999; Waddell et Shepperd, 2002