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Les secrets de l'autisme

Par J. Madeleine Nash

Article paru dans l'édition américaine du Time magazine du 6 mai 2002.
Traduit par Hervé Carteau

Le nombre d’enfants diagnostiqués comme autistes ou Asperger explose. Pourquoi ?

Tommy Barrett est un petit garçon aux yeux rêveurs qui vit avec ses parents, ses frères jumeaux, deux chats et une tortue à San José en Californie, au coeur de la « Silicon Valley ». C’est un excellent élève qui aime les mathématiques, les sciences naturelles et les jeux vidéo. C’est aussi un expert mondial sur les jouets Transformer et Animorph. « C’est comme des voitures ou des trains ou des animaux qui se transforment en robots ou en humains - je les adore ! »crie-t-il avec exubérance.

Et c’en devient parfois un problème. Pendant un temps, Tony était si fasciné par ces jouets qu’il faisait semblant d’en être un lui-même quand il n’en avait aucun sous la main ; il se « transformait » alors en camion puis en robot avant de devenir un chaton. Et il faisait ceci au supermarché, dans la cour de récréation et même en salle de classe. Ses instituteurs trouvaient cette pantomime répétitive charmante mais inquiétante, tout comme sa mère Pam. D’autres signes inquiétants apparurent à cette époque. Pam Barrett se souvient qu’à trois ans, son fils était un causeur volubile, mais qu’il ne semblait pas comprendre qu’il existait des règles de réciprocité dans une conversation ; de plus il ne regardait pas les gens dans les yeux. Et bien que Tommy soit de toute évidence un enfant intelligent, qui avait appris à lire dès quatre ans, il était si agité et son attention si fugace qu’il ne pouvait pas participer au groupe de lecture de la maternelle.

Quand Tommy eut huit ans, ses parents apprirent enfin ce qui n’allait pas. Un psychiatre leur dit que leur petit garçon si intelligent souffrait d’une forme légère d’autisme dénommé le syndrome d’Asperger. Les Barrett ne purent presque pas supporter cette nouvelle à ce moment-là, bien que de tels enfants répondent souvent bien à une thérapie adaptée.

En effet, deux ans plus tôt, Pam et son mari Chris, directeur d’exploitation d’une entreprise de conception de logiciels, avaient appris que les deux jumeaux frères de Tommy, Jason et Danny, étaient profondément autistes. Ils semblaient normaux à la naissance et apprirent à dire quelques mots avant de décrocher dans leur monde secret, perdant rapidement les capacités qu’ils venaient juste d’apprendre. Au lieu de jouer avec leurs jouets, ils les cassaient ; au lieu de parler, ils émettaient un étrange hurlement aïgu.

D’abord Jason et Danny, maintenant Tommy. Pam et Chris commencèrent à se demander si leurs enfants n’avaient pas été exposés à des produits dangereux. Ils commencèrent à étudier la liste de tous leurs parents, se demandant depuis combien de temps l’ombre de l’autisme planait sur leur famille.

L’épreuve qu’endurent Pam et Chris n’est que trop familière pour des dizaines de milliers de familles en Amérique du Nord et dans le reste du monde. Avec une soudaineté apparente, les cas d’autisme et d’autres troubles proches, comme le syndrome d’Asperger, se multiplient d’une façon explosive sans que personne n’ait une explication à donner. Si de nombreux experts pensent que cette augmentation n’est que la résultante d’un élargissement des critères du diagnostic, d’autres sont convaincus que cette poussée est au moins partiellement réelle et s’en inquiètent gravement.

Par exemple, en Californie, l’état des Barrett, le nombre d’enfants autistes à la recherche d’une aide adaptée a quadruplé pendant les quinze dernières années, passant de 4000 en 1987 à près de 18.000 aujourd’hui. Les cas d’Asperger deviennent si courant dans la Silicon Valley que le magazine Wired a nommé ce trouble le " syndrome du binoclard ", en référence au mélange étonnant de bonnes capacités intellectuelles et d’inaptitude sociale complète. Wired a continué en se demandant, d’une façon provocatrice, si la flambée de cas dans Silicon Valley était due à un "gène des maths et de la technologie".

Mais l’augmentation du nombre de cas est loin de se limiter aux enclaves de la haute technologie ou aux enfants d’informaticiens et de programmeurs. Elle se constate dans toutes les catégories socio-professionnelles et dans tous les états. Sheila Wagner, directrice du Centre de Ressources sur l’Autisme de l’université d’Elmore à Atlanta, nous dit : " Nous recevons des appels d’écoles de campagne de la Géorgie profonde. Les gens nous disent : nous n’avions jamais eu de gosses avec autisme jusqu’à présent, et on en a dix maintenant ! Qu’est-ce qui se passe ? "

C’est une bonne question. Il y a peu de temps, on pensait que l’autisme était assez rare, n’affectant qu’une personne sur 10.000. Les dernières études supputent cependant que jusqu’à un enfant de moins de dix ans sur 150 serait atteint d’autisme ou d’un trouble apparenté, soit 300.000 enfants rien qu’aux États-Unis. Si on y ajoute les adultes, selon la Autism Society of America, c’est plus d’un million de personnes qui souffrent dans ce pays d’un trouble autistique (également appelés Troubles Envahissants du Développement ou TED). Ce problème est cinq fois plus répandu que le syndrome de Down et trois plus que le diabète infantile.

Il n’est pas étonnant que les parents assiègent les bureaux des psychologues et des psychiatres dans leur quête de remèdes. Il n’est pas étonnant que les écoles se dotent d’auxiliaires spécialisés pour aider les instituteurs à faire face. Et il n’est pas non plus étonnant que les institutions de recherches privées et publiques aient lancé des initiatives communes pour décoder la biologie qui génère une gamme si stupéfiante de handicaps.

Dans leur quête effrénée pour avoir des réponses, les parents comme les Barrett déclenchent ce qui promet d’être une révolution scientifique. En réponse aux inquiétudes qu’ils soulèvent, l’argent se met à pleuvoir sur la recherche sur l’autisme, un domaine qui semblait il y a cinq ans bloqué dans l’arrière-cour des neurosciences. Aujourd’hui, des dizaines de scientifiques se précipitent pour identifier les gènes liées à l’autisme. Le mois dernier, dans une série d’articles publiés dans la revue Molecular Psychiatry, des scientifiques américains, britanniques, italiens et français ont signalé qu’ils commençaient à faire de sérieux progrès.

Pendant ce temps, des équipes de recherchent s’activent à créer des modèles animaliers pour l’autisme sous la forme de souris mutantes. D’autres examinent les facteurs environnementaux qui pourraient favoriser l’autisme ; d’autres encore ont recours à une technologie avancée d’imagerie cérébrale pour sonder le plus profond des cerveaux autistes. Au cours de ces travaux, ces scientifiques élaborent de nouvelles approches de ce confondant spectre de troubles, et commencent à évoquer de nouvelles hypothèses pour définir pourquoi ceux qui sont frappés par l’autisme se constituent des esprits étrangement différents des nôtres et cependant , par certains aspects importants, bizarrement familiers.

LES RACINES GÉNÉTIQUES DE L’AUTISME

L’autisme fut décrit pour la première fois en 1943 par un psychiatre de l’université John Hopkins, Léo Kanner, puis en 1944 par un pédiatre autrichien appelé Hans Asperger. Kanner appliquait ce terme à des enfants qui se retiraient des échanges sociaux, étaient obsédés par leurs habitudes, avaient du mal à acquérir un langage parlé mais présentaient souvent des capacités intellectuelles qui écartaient tout diagnostic de retard mental. Asperger utilisait ce terme pour des enfants socialement maladroits, qui avaient d’étranges obsessions mais parlaient cependant bien et étaient apparemment très intelligents. Asperger remarquait que ce trouble perdurait souvent dans une même famille et passait parfois directement du père au fils. Les travaux de Kanner mentionnèrent eux aussi que les gènes du cerveau pouvaient avoir un rôle central dans l’autisme.

Mais alors la recherche sur l’autisme prit le mauvais tournant. Les fines déductions d’Asperger furent perdues dans l’Europe tourmentée de l’après-guerre pendant que celles de Kanner étaient écrasées par le rouleau-compresseur freudien. Selon cette école, les enfants ne naissaient pas autistes mais le devenaient parce que leurs parents et en particulier leurs mères étaient froids et distants avec eux.

Cependant, en 1981, la psychiatre britannique Lorna Wing publia un dossier influent qui ranima l’intérêt quant aux travaux d’Asperger. Wing notait que le trouble qu’avait identifié Asperger semblait de bien des façons être une variante de l’autisme de Kanner, et que les points communs entre les deux étaient plus importants que les différences. En conséquence, les chercheurs pensent maintenant qu’Asperger et Kanner décrivaient deux aspects d’un trouble très compliqué et variable, qui trouve sa source dans le kaléidoscope des traits encryptés dans le génome humain. Les chercheurs admettent aussi que l’autisme profond n’est pas toujours accompagné d’une intelligence exceptionnelle et qu’en fait, il est beaucoup plus probable qu’une de ses caractéristiques soit un retard mental à briser le coeur.

L’une des plus choquantes découvertes faite par les chercheurs est que les composantes de l’autisme, bien plus que l’autisme lui-même, ont tendance à se perpétuer au sein des mêmes familles. Ainsi, même si les gens profondément autistes ont rarement des enfants, les chercheurs remarquent souvent qu’un parent proche est affecté par un aspect de ce trouble. Un soeur peut avoir un comportement étrangement répétitif ou être excessivement timide ; un frère peut avoir du mal à parler ou être socialement inapte. Dans la même veine, si un jumeau est autiste il y a 60% de chances pour que l’autre le soit aussi et plus de 75% de chance qu’il présente un ou plusieurs traits autistiques.

Combien de gènes contribuent-elles à la sensibilité à l’autisme ? Les estimations actuelles varient entre trois et plus de vingt. Les gènes de plus en plus examinées, comme l’indique le journal Molecular Psychiatry, sont celle qui régulent l’action de trois puissants neurotransmetteurs : le glutamate, intimement impliqué dans l’apprentissage et la mémoire ; la sérotonine et l’acide gamma-aminobutirique (gaba), dont on sait qu’ils jouent un rôle dans les comportements obsessionnels et la dépression.

Ces gène sont loin d’épuiser la liste des possibilités. Parmi les suspects, on trouve virtuellement tous les gènes qui contrôlent le développement du cerveau, ainsi que les fonctions immuno-défensives et le cholestérol. Christopher Stodgell, chercheur en toxicologie à l’université de Rochester à New-York, remarque que le processus de construction du cerveau ressemble à une partition musicale très compliquée, avec un orchestre qui se compose de dizaines de milliers de gènes. Si ces gènes font ce qu’elles doivent faire, dit Stodgell, « alors c’est le Concerto pour clarinette de Mozart. Sinon, c’est la cacophonie ».

UN ESPRIT DIFFÉRENT

Les personnes avec autisme souffrent d’un assortiment stupéfiant de problèmes : distorsions sensorielles, allergies à certains aliments, problèmes gastro-intestinaux, dépression, comportements obsessionnels, épilepsie en deçà des seuils cliniques, troubles de l’attention et hyperactivité. Mais les chercheurs croient qu’il y a un défaut central, et que c’est la difficulté de ces personnes à développer la théorie de l’esprit. C’est du jargon de psychologue pour dire que, avant l’âge de quatre ans, la plupart des enfants réalisent que les autres personnes ont des pensées, des souhaits et des désirs qui sont différents des leurs. Selon le pédopsychologue Andrew Meltzoff, de l’université de Washington, l’étape difficile de l’enfance qu’il appelle le « terrible two » vient du fait qu’une fois que les enfants - les enfants ordinaires en tous cas - ont compris que leurs parents avaient un esprit différent du leur, ils se mettent à le tester en bons scientifiques.

Les enfants avec autisme sont en revanche « aveugles de l’esprit ». Ils semblent penser que ce qu’ils ont en tête est ce que tout le monde a en tête, et ce qu’ils ressentent est ce que tout le monde ressent. L’idée que les autres - parents, camarades de jeu, enseignants - puissent voir les choses différemment, ou dissimuler certaines pensées, ne leur vient pas facilement. « Il a fallu très longtemps à Tommy pour dire un mensonge », se souvient Pam Barrett, et quand il l’a fait, elle a applaudi en son for intérieur.

Metzloff pense que ce manque vient de la difficulté qu’ont les enfants autistes à imiter les adultes autour d’eux. Si un adulte s’assoit avec un enfant normal de 18 mois et fait quelque chose d’intéressant devant lui, par exemple des grimaces, l’enfant ordinaire répondra en faisant la même chose. Ce n’est pas le cas des jeunes enfants avec autisme, comme les expériences menées par Meltzoff et sa collègue Geraldine Dawson en salle de jeux l’ont démontré.

Les conséquences de cet échec à imiter sont graves. Dans ses premières années de vie, l’imitation est l’un des plus puissants outils d’apprentissage de l’enfant. C’est par l’imitation que l’enfant apprend à exprimer ses premiers mots et à maîtriser ce riche langage non-verbal des attitudes corporelles et des expressions faciales. C’est de cette manière, nous dit Meltzoff, que l’enfant apprend que les épaules affaissées signifient la tristesse ou l’épuisement physique, et que les yeux pétillants signifient la joie et peut-être bien la malice.

Pour les autistes, y compris ceux de haut niveau, cette capacité à sentir l’état d’esprit d’une autre personne ne vient qu’après un long et dur combat, et même à ce stade nombre d’entre eux ne détectent pas les signaux inconscients que les gens ordinaires diffusent. « Je n’avais aucune idée que les autres personnes communiquaient par les mouvements de leurs yeux jusqu’à ce que je le lise dans un journal il y a cinq ans », dit l’ingénieur Temple Grandin, elle-même autiste.

Il est cependant faux de dire que les autistes sont froids et indifférents à ceux qui sont autour d’eux, ou, comme le disait jadis la sagesse populaire, qu’ils manquent d’empathie. En décembre dernier, quand Pam Barrett s’est sentie dépassée et a fondu en larmes, c’est Danny, son enfant le plus profondément autiste, qui s’est précipité à ses côtés et l’a bercé dans ses bras.

Karen Pierce, neurologue à l’université de Californie à San Diego, dit qu’il est également faux de penser que les personnes avec autisme ne retiennent pas les visages de ceux qu’ils aiment, que, comme le disait un important spécialiste du cerveau, ils voient le visage de leur mère comme ils voient un gobelet en carton. C’est tout le contraire, selon Pierce, qui base son affirmation sur les résultats d’une étude d’imagerie neurologique. Elle a de plus souligné lors d’une conférence tenue en novembre dernier à San Diego que le centre d’activité du cerveau autiste est le gyrus fusiforme, un secteur que les gens ordinaires utilisent justement pour reconnaître les visages.

Lors de cette étude utilisant l’imagerie cérébrale neurologique, explique Pierce, le gyrus fusiforme des personnes autistes ne réagissait pas quand on leur présentait des photos d’inconnus, mais s’allumait comme un feu d’artifice quand les photos de leurs parents leur étaient présentées. De plus, cette explosion d’activité ne se limitait pas au gyrus fusiforme mais, tout comme pour les sujets normaux, s’étendait aussi aux zones du cerveau qui répondent aux événements chargés d’émotions. Pour Pierce, cela implique que les autistes peuvent forger de forts attachements émotionnels quand ils sont bébés, et que leur isolement social ultérieur est la conséquence d’une désorganisation du cerveau qui empire au fur et à mesure que son développement continue.

De nombreuses études ont démontré par ailleurs que les autistes ne traitent pas l’information comme les autres. Le psychologue John Sweeney, de l’université de l’Illinois, a découvert que l’activité du cortex pariétal et préfrontal est bien inférieure à la normale chez un adulte autiste à qui on fait effectuer un travail simple recquiérant le recours à sa mémoire spatiale. Il observe que ces zones du cerveau sont essentielles dans la planification et la résolution de problèmes. Une de leurs missions est de conserver une carte spatiale évolutive dans un " tiroir " de la mémoire active. Selon Sweeney, la mauvaise performance des sujets autistes à effectuer la tâche qu’il leur avait fixé - mémoriser l’emplacement d’une lumière clignotante - suggère qu’ils pourraient avoir du mal à actualiser cette carte et à y accéder en temps réel.

Pour la collaboratrice de Sweeney, la neurologue Dr. Nancy Minshew de l’université de Pittsburgh, ces images d’esprits en action de personnes avec autisme évoquent énormément de choses. Elles impliquent que des connexions essentielles entre des zones-clés du cerveau n’ont soit jamais été établies, soit ne fonctionnent pas d’une manière optimisée. « Quand on regarde ces images, on voit ce qui manque », dit-elle, évoquant une expérience étrangement semblable à regarder deux photos de Manhattan côte-à-côte, avec et sans les Twin Towers.

UNE AFFAIRE DE MAUVAIS CÂBLAGE

L’autisme commence-t-il par un " bug " en un point précis du cerveau -peut-être le brainstem- puis s’étend-il à d’autres parties ? Ou est-ce un problème étendu qui s’aggrave alors que le cerveau doit installer et utiliser des circuits de plus en plus complexes ? Les deux scénarii sont plausibles, et les experts ne sont pas d’accord pour déterminer lequel est le plus probable. Mais une chose est claire : très tôt, le cerveau des enfants avec autisme est différent, à l’échelle microscopique aussi bien que macroscopique.

Par exemple, le Dr Margaret Bauman, neuropédiatre à la Harvard Medical School, a examiné les tissus post mortem des cerveaux de près de trente personnes avec autisme mortes entre les âges de 5 à 74 ans. Elle a entre autres trouvé des anomalies frappantes dans le système limbique, un secteur qui comprend l’amygdale (le centre émotionnel primitif du cerveau) et l’hippocampe (une structure d’une importance critique pour la mémoire). Selon les travaux de Bauman, les cellules du système limbique des autistes sont anormalement plus petites et étroitement regroupées que celles des personnes normales. Elles semblent être immatures, " comme si elles attendaient un signal pour se mettre à grandir " comme dit le psychiatre Edwin Cook de l’université de Chicago.

On a trouvé une autre anomalie importante dans le cervelet d’autistes, enfants comme adultes : le nombre des cellules de Purkinje (du nom du médecin tchèque qui les a découvertes) est largement inférieur à la normale. Selon le neurologue Eric Courchesne, de l’université de Californie à San Diego, c’est un indice d’une importance critique pour expliquer ce qui va si mal dans l’autisme. Il fait remarquer que le cerebellum est est l’un des centres de calculs les plus actifs du cerveau, et que les cellules de Purkinje sont des éléments critiques dans son système d’intégration des informations. Sans elles, le cerebellum ne peut pas remplir son rôle, qui est de recevoir les torrents d’information arrivant du monde extérieur, d’évaluer leur signification et de préparer les autres parties du cerveau à y réagir d’une façon appropriée.

Il y a plusieurs mois, Courchesne a dévoilé les résultats d’une étude basée sur l’imagerie cérébrale, et ces résultats l’ont amené à présenter une nouvelle hypothèse. Il remarque qu’à leur naissance, le cerveau des enfants autistes est d’une taille normale. Quand ils atteignent l’âge de deux ou trois ans, leurs cerveaux sont devenus beaucoup plus gros que la normale. Grâce à l’IRM, Courchesne et ses collègues ont pu discerner les deux types de tissus ou cette croissance anormale est la plus prononcée.

Il y a d’abord la matière grise bourrée de neurones, dans le cortex, et la substance blanche, qui contient les connexions fibreuses reliant le cortex aux autres parties du cerveau, y compris le cervelet. Courchesne estime que c’est peut-être une surcharge d’informations crée par la profusion de ces connexions qui abîme et finit par tuer les cellules de Purkinje. « La question très intéressante est donc, dit Courchesne, de savoir ce qui génére cette croissance anormale du cerveau. Si nous le comprenions, nous pourrions trouver un moyen de la ralentir ou de l’arrêter. »

La prolifération des liaisons entre ces milliards de neurones est normale et arrive chez tous les enfants, bien sûr. Mais, à la différence d’un ordinateur, le cerveau d’un enfant ne vient pas au monde avec tous ces circuits déjà assemblés et opérationnels. Il doit les installer en réponse à ses expériences, puis les souder ensemble par une activité neurologique répétée. Donc, si Courchesne a raison, l’autisme serait la conséquence d’un processus normal qui s’enclenche trop tôt et trop fort, et qui s’arrête trop tard - et ce processus serait contrôlé par des gènes.

Courchesne et ses collègues étudient actuellement de près les gènes spécifiques qui pourraient être impliqués dans ce processus, en particulier les quatre gènes encryptant la régulation de la croissance du cerveau que l’on trouve chez les nouveaux-nés qui plus tard présenteront un retard mental ou un autisme. Parmi ces composés, le Dr Karin Nelson, de l’Institut National de la Santé, et ses collègues ont identifié l’année dernière une puissante molécule appelée peptide vasoactive intestinale. Cette molécule n’influe pas que sur le développement du cerveau mais aussi sur celui des systèmes immunitaire et gastro-intestinaux. Ce pourrait être un indice que les autres troubles qui accompagnent si souvent l’autisme pourraient bien ne pas être des coïncidences.

L’idée qu’il pourrait exister des marqueurs biologiques de l’autisme chez les nouveaux-nés intérésse depuis longtemps les chercheurs pour une raison simple. Si l’on peut identifier les bébés présentant un risque élevé, il pourrait être possible de surveiller les évolutions neurologiques présageant le déclenchement des troubles du comportement, et peut-être un jour intervenir dans ce processus. Selon Michael Merzenich, neurologue à l’université de Californie à San Fransisco,
« nous étudions aujourd’hui l’autisme après que la catastrophe se soit déclenchée, et nous trouvons face à la multitude de choses que ces gosses ne peuvent pas faire. Nous devons savoir comment c’est arrivé. »

Les gènes qui déclenchent les troubles autistiques pourraient faire dérailler le développement normal du cerveau de bien des façons. Elles peuvent encrypter des mutations comme celles d’autres maladies résultant d’un gène unique, comme la mucoviscidose ou la maladie de Huntington. Elles peuvent aussi bien être des variantes de gènes normaux qui ne posent problème que s’ils se combinent avec d’autres gènes. Ou ils peuvent être des gènes qui génèrent des vulnérabilités à tous les stress que peut rencontrer l’enfant.

Une théorie répandue mais toujours non validée est que l’autisme est une conséquence de l’injection du vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole), administré à l’âge de 15 mois en moyenne. Mais bien d’autres coupables sont possibles. Les chercheurs de l’université de Californie à Davis ont lancé une grande enquête épidémiologique pour chercher dans les tissus d’enfants autistes et normaux des résidus de mercure, d’autre métaux lourds, de benzène et de pcbs. L’hypothèse est que certains enfants sont plus vulnérables que d’autres à ces agents. L’étude mesurera donc d’autres paramètres génétiques, comme l’efficacité de la métabolisation du cholestérol et des autres lipides par ces enfants.

On étudie également certains médicaments pris par les femmes enceintes. A l’université de Rochester, l’embryologue Patricia Rodier et ses collègues étudient comment certains tératogènes m(des substances à l’origine des malformations de naissance) pourraient mener à l’autisme. Ils se concentrent sur l’impact des tératogènes sur un gène appelé hoxa-1, qui « s’allume » très brièvement pendant le premier trimestre de la grossesse et ne donne plus jamais aucun signal par la suite. Les embryons de souris dans lesquels l’équivalent de ce gène pour les rongeurs a été éliminé développent des cellules-souches du cerveau dépourvues d’une couche entière de cellules.

En fin de compte, il est probable que les scientifiques découvriront plusieurs chemins menant à l’autisme : certains seront rares et d’autres plus communs, certains seront purement génétiques et d’autres non. Quand ce sera fait, de nouvelles idées pour traiter l’autisme pourraient bien vite se matérialiser. Dans une dizaine d’années, il existera presque surement des formes d’interventions thérapeutiques efficaces, peut-être même des médicaments contre l’autisme. A l’université Cook de Chicago, on fait remarquer que « les gènes nous donnent des cibles, et nous sommes assez bon à concevoir des médicaments pour les cibles que nous connaissons. »

L’élément le plus terrible des troubles autistiques est qu’ils affectent les très jeunes enfants. C’est paradoxalement la raison qui donne de l’espoir. Puisque les connexions neurales du cerveau d’un jeune enfant se construisent par l’expérience, des exercices mentaux bien ciblés peuvent faire la différence. Une des grandes questions qui demeure sans réponse est pourquoi 25% des enfants autistes profonds profitent énormément d’une thérapie du langage et d’une thérapie sociale intensive, et pas les 75% restants ? Est-ce parce que les cerveaux de ces derniers sont irrémédiablement abimés, se demande Geraldine Dawson, directrice du Centre de l’autisme à l’université de Washington, ou est-ce parce que l’on n’aborde pas convenablement le fond du problème ?

Plus il y a de scientifiques qui se posent ces questions et plus il semble qu’ils détiennent les pièces d’un puzzle qui ressemblent aux morceaux des jouets transfomer de Tommy Barrett. Assemblez ces pièces d’une façon et vous arriverez à un enfant normal, assemblez-les d’une autre et vous arriverez à un enfant autiste. En regardant les doigts de Tommy transformer un train en robot, un robot en train, une pensée inattendue vient à l’esprit. Un tour de prestidigitation pourrait-il ramener ces cerveaux profondément autistes sur le bon chemin ? Un gosse fasciné par le processus de la transformation deviendra-t’il un scientifique qui comprendra le truc ?

LE GUIDE DES PARENTS

Comment savoir si votre enfant est autiste ? Et que devez-vous faire s’il ou elle l’est ?

CE QU’IL FAUT CHERCHER : Les symptômes de l’autisme (présent d’habitudes chez les nouveaux-nés, surveillez l’apparition de plusieurs de ces symptômes)
• ils ne pointent pas du doigt à un an
• ils ne papotent pas à un an, ne disent aucun mot à 16 mois, ne prononcent pas de phrases à deux mots à 24 mois
• leur langage régresse, à n’importe quel moment
• ils ne " font pas semblant de "
• ils ne cherchent pas à se faire des copains
• ils ne se concentrent que pendant un temps extrêmement court
• ils ne répondent pas à leur nom et semblent indifférent aux autres
• ils ne regardent pas, ou très peu, dans les yeux
• ils ont des mouvements répétitifs, comme se balancer ou taper des mains
• ils font des " caprices " très bruyants et spectaculaires
• ils sont fascinés par un seul objet, comme le ventilateur dont les pales tournent
• ils résistent très fortement aux changements de routine
• ils sont hypersensibles à certains bruits, odeurs ou textures

CE QU’IL FAUT CHERCHER : Les symptômes de l’Asperger (le diagnostic est souvent établi à partir de six ans)
• ils ont du mal à se faire des amis
• ils ont du mal à interpréter les indices non-verbaux, comme les expressions du visage
• ils ne comprennent pas que les autres puissent avoir des idées et des sentiments différents des leurs
• ils sont obsédés par un sujet très précis, comme réciter les horaires des trains
• ils sont patauds
• ils sont inflexibles quant à leurs habitudes, en particulier lors de changements impromptus
• leur forme de langage est mécanique, presque robotique

NB : Même les enfants ordinaires montrent certains de ces signes de temps en temps. Les symptômes de l’autisme et de l’Asperger sont eux persistants et handicapants).

PAR QUOI COMMENCER ?

FAITES FAIRE UNE EVALUATION. Emmenez votre enfant voir un pédiatre du développement qui a une expérience de l’autisme et du syndrome d’Asperger. Il évaluera votre enfant avec une équipe de spécialistes (orthophonistes, thérapeutes du comportement, thérapeutes de l’occupation) pour déterminer les points pour lesquels votre enfant a besoin d’aide.

COMMENCEZ TÔT. Tous les états doivent offrir une évaluation gratuite et des services d’intervention précoce pour ces enfants. Pour trouver qui contacter dans votre état, consulter le Centre National d’Information pour les Enfants Handicapés (financé par le ministère de l’éducation) au 800-695-0285 ou sur nichcy.org/index.html. Demandez le soutien des associations de votre région.

COMMENT TRAITER L’AUTISME ?

PAR L’ORTHOPHONIE, qui peut aider à réduire les handicaps de la communication et du langage
PAR LA THERAPIE OCCUPATIONNELLE, qui aide à développer l’habileté et l’intégration sensorielle.
PAR LA THERAPIE COMPORTEMENTALE, qui améliore les capacités cognitives et réduit les troubles du comportement.
PAR L’EDUCATION : mieux vaut une approche très structurée pour avoir des résultats
PAR LES MEDICAMENTS : ils peuvent réduire certains symptômes
PAR UN REGIME SPECIAL : éliminer certains groupes d’aliments, comme les laitages, aide certains enfants.

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